Diffusion d’images intimes par un ex-conjoint et dédommagement de la victime
Auteure: Claire Farnoux, étudiante au cours DRT-6929E-A
Depuis le mois de décembre 2014, le code criminel canadien prévoit une infraction de publication non consensuelle d’une image intime, en son article 162.1(1) visant « Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non ». Cette disposition permet à la juridiction de prononcer une lourde peine maximale de 5 ans de prison (lorsqu’elle est poursuivie par mise en accusation).
L’image intime est elle-même définie à l’article 162.1(2) comme un enregistrement visuel d’une personne, réalisé par tout moyen, où celle-ci figure nue ou se livrant à une activité sexuelle, enregistrement réalisé dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée.
Toutefois, au-delà de l’instance pénale, se pose la question du dédommagement de la victime d’une telle diffusion ou transmission d’images intimes la représentant.
La Cour supérieure du district de Saint-François a rendu, le 5 décembre 2017, une décision estimant que le défendeur avait commis une faute en transmettant à une tierce personne des photos intimes sans le consentement de la demanderesse, et avait à ce titre porté atteinte « aux droits de cette dernière au respect de sa vie privée et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation ».
En l’espèce, le défendeur avait transmis par e-mail au nouveau conjoint de la demanderesse des photos intimes de celle-ci, lesquelles lui avaient été envoyées par la demanderesse quelques années plus tôt. Il avait également laissé entendre qu’il avait diffusé ces images sur internet, sur des sites pornographiques. Il convient de noter que lors de l’instance pénale, le défendeur avait reconnu sa culpabilité.
Dans sa décision la Cour rappelle que le plaidoyer de culpabilité est admissible en preuve. Elle note en outre que les critères prévus à l’article 162.1 (2) du Code criminel étaient en l’espèce satisfaits :
[68] (…) la demanderesse a pris elle-même les photos alors qu’elle était nue sur un fauteuil de son appartement, dans un contexte où elle avait une attente raisonnable de protection en matière de vie privée au moment où les photos ont été prises puisqu’elle était seule. Elle a ensuite transmis ces photos à deux reprises, soit à son copain M… en 2011 et au défendeur en janvier 2012, et ce, en utilisant un moyen de communication privé. Elle n’a jamais diffusé les photos ailleurs ou en public, par exemple sur des sites internet ou via Facebook. Elle n’a jamais autorisé le défendeur à s’en servir, à les distribuer, à les transmettre ou à les rendre accessibles.
Aussi, conclut la Cour, la diffusion fautive des photographies, sans le consentement de la demanderesse, constitue une atteinte fautive de son droit à l’image.
La Cour attribue en conséquence la somme de 7.000$ au titre des dommages moraux subis par la demanderesse en raison de cette atteinte à son droit à l’image et de l’insinuation qu’avait fait le défendeur d’avoir diffusé ces images sur des sites pornographiques sur le web, bien qu’une telle publication n’ait en réalité pas été effectuée.
Elle attribue également 3.000$ à titre de dommages punitifs, en réparation des actions du défendeur visant à atteindre la réputation de la demanderesse et à nuire à sa relation avec son nouveau conjoint.
En toute fin, il convient de rappeler que l’article 162.1 avait été adoptée en réponse aux craintes nées de l’essor des réseaux sociaux, et du partage croissant, quoique peu documenté, de photographies de nature intime. Un tel partage, s’il peut être à l’origine consensuel, peut en effet par la suite donner lieu à une diffusion non-autorisée par un destinataire mal intentionné ou négligent. L’entrée en vigueur de cette disposition n’a cependant conduit, à ce jour, qu’à un nombre modéré d’applications à l’échelle du Canada.
Lien vers la décision: N.G. c. F.B., 2017 QCCS 5653 (CanLII)
This content has been updated on February 1, 2018 at 22 h 18 min.