Les fiançailles du droit et de l’intelligence artificielle ou l’avenir dystopique de la justice
Auteure: Esther Prouzet, étudiante au cours DRT-6929E-A
Les romans et séries n’ont jamais été aussi proches de la réalité que ces dernières années. Le robot juge ou robot avocat pourrait prendre sa place plus rapidement que l’on ne le croyait. Une véritable intelligence artificielle au service des professionnels du droit qui peut dans certains cas être au détriment des justiciables, de leurs représentants et des magistrats, pourrait faire son apparition.
Qu’est-ce que la justice prédictive ?
L’intelligence artificielle et les nouvelles technologies ont permis de mettre au point des algorithmes qui permettent de « scanner » la jurisprudence présente dans les bases de données juridiques afin d’évaluer les chances de gagner un procès malgré la part évidente d’aléa. Les résultats obtenus permettent d’analyser le risque juridique et d’anticiper l’aléa, voire, à terme, de le maîtriser. Il s’agit de justice prédictive visant les décisions judiciaires et le travail effectué par les magistrats.
Quelles sont les manifestations actuelles de cette « nouvelle » justice ?
Au sein des cabinets d’avocats, le robot Ross par exemple, a permis aux avocats d’un cabinet d’affaires de modifier considérablement leur fonctionnement. En effet, le robot traite une partie importante du travail des stagiaires et des jeunes collaborateurs qui consiste à examiner de nombreux dossiers, à rechercher une jurisprudence précise et exhaustive et des arguments favorables au litige. Or, le coût d’une robotique, la lenteur de sa conception poussent à se tourner vers des intelligences artificielles qui ont une mise en œuvre plus rapide et qui pourrait être, à terme, à même de remplacer des emplois très qualifiés contre des emplois peu qualifiés pour les robots.
La peur de cette nouvelle justice n’est pas nouvelle mais ces dernières années ont largement contribué à son développement. En effet, en France, la loi pour une République numérique, a permis de concrétiser cet « open data » à travers un nouvel article du Code de l’organisation judiciaire, qui précise que « les décisions rendues par les juridictions judiciaires sont mises à la disposition du public à titre gratuit, dans le respect de la vie privée des personnes concernées ». Certes ces initiatives apparaissent louables, car elles prônent la transparence et l’accessibilité du droit au plus grand nombre mais elles sont également utiles pour le développement d’outils d’analyse de ces décisions.
En réalité, cette évolution est davantage technologique et commerciale. De nombreuses start-up telles que Case law anaytics ou le site internet Lex machina, se développent dans le domaine de la justice prédictive, en faisant application d’outils de quantification des risques utilisés dans l’analyse financière. Ces logiciels permettent de dresser un profil type de l’indemnité qu’il est possible d’obtenir selon le procès, divorce, poursuite suite à un dommage corporel, etc.
Il s’agit donc davantage de « justice quantitative » plutôt que de « justice prédictive » selon les créateurs de starts-up, puisque la justice repose sur un critère humain et individuel qui émane du magistrat qui rend la décision. Certains estiment que ces entreprises vont permettre d’alléger la charge de travail des tribunaux ; si la probabilité qu’un tribunal prononce telle décision est faible, les parties pourront décider de régler à l’amiable les litiges sans passer par les tribunaux.
Le Big data judiciaire pourrait même permettre d’identifier les arguments à utiliser pour certaines décisions et permettre de dresser un « profil » des juges ayant rendu certains types de décisions. Selon Xavier Ronsin, le premier président de la cour d’appel de Rennes:
La capacité illimitée des algorithmes d’Internet d’analyser, classer et profiler les millions de décisions judiciaires rendues va mettre encore plus en évidence la fragilité de notre justice si elle n’est pas en mesure d’expliquer pourquoi la chambre A et la chambre B d’une même cour ne disent pas toujours la même chose sur un sujet de droit X.
Ces legal Tech n’épargnent aucun métier du droit et aucun domaine. Elles permettaient, en premier lieu, de générer des documents tels que des mises en demeure, constats et autres documents judiciaires ou juridiques, jusqu’à orienter un avocat vers une argumentation plutôt qu’une autre en raison de décisions judiciaires favorables en ce sens.
Les professions du droit ne vont pas pour autant disparaitre, mais il se peut que le nombre de professionnels diminuera en conséquence et que les manières de pratiquer ou d’appliquer le droit évolueront et se métamorphoseront, comme il en a été lors de l’essor d’internet et de l’ordinateur.
Le raisonnement de l’avocat et le raisonnement du juge semblent pour l’instant hors d’atteinte puisque trop complexes à appréhender par une robotique et une intelligence artificielle à ce stade, mais ceci pourrait changer d’ici quelques décennies.
Le besoin constant d’assimiler l’intelligence artificielle à l’humain étant fort présent, cela pourrait modifier toute notre conception actuelle de la Justice. Nous vivons un tournant dans l’histoire de l’humanité qu’il convient de surveiller afin d’anticiper les dangers de la « souveraineté numérique » avant les enjeux politiques, commerciaux et économiques des créateurs d’intelligence artificielle et de nouvelles technologies.
This content has been updated on March 13, 2017 at 8 h 55 min.