Revenge porn : le code pénal français a un train de retard
Auteur: Guilhem Issartel, Étudiant au cours de DRT6929E
En France, le droit pénal est codifié dans le Code pénal, qui date originellement de 1810. Depuis, en 1994, une nouvelle version de ce code est entrée en vigueur, introduisant de nombreuses nouveautés, dont par exemple la responsabilité pénale des personnes morales, et alourdissant les peines prévues pour la quasi-totalité des délits et des crimes. Pourtant, il semblerait que cette nouvelle mouture ait raté le virage du numérique. Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation, relatif au « revenge porn », le rappelle cruellement.
Les faits sont les suivants : une jeune femme (Mme Y) porte plainte en raison de la diffusion sur internet, par son ancien compagnon (M. X), d’une photographie prise par lui, à l’époque de leur vie commune, la représentant nue alors qu’elle était enceinte.
La plainte se fonde sur l’article 226-1 du code pénal :
Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé.
Le tribunal correctionnel et la Cour d’appel condamnent l’auteur des clichés, considérant que « le fait, pour la partie civile, d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée ». Ainsi, les juges du fond retiennent le caractère intime de la photographie pour distinguer le consentement à la prise de la photo et le consentement à sa diffusion. Dès lors, les juges déduisent qu’en diffusant une photo intime de sa compagne en l’absence de son consentement, M. X a enfreint l’article 226-1 alinéa 2 du code pénal. L’auteur des photos se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel. Ainsi, la juridiction suprême relève d’abord que l’arrêt de la cour d’appel « énonce que le fait, pour la partie civile, d’avoir accepté d’être photographiée ne signifie pas, compte tenu du caractère intime de la photographie, qu’elle avait donné son accord pour que celle-ci soit diffusée. »
Au contraire, après avoir rappelé que le droit pénal est d’interprétation restrictive, la Cour de cassation juge que « en se déterminant ainsi, alors que n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé. »
En d’autres termes, la Cour de cassation a rejeté la distinction fondée sur le caractère intime de la photographie, et a considéré que le consentement à la prise de la photographie emportait le consentement à sa diffusion. Ainsi, la diffusion d’une l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé n’est punissable que si la photographie a été réalisée sans le consentement de la personne concernée. De même, n’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement.
Cet arrêt de la Cour de cassation est controversé. En effet, l’article 226-1 alinéa 2 incrimine le fait de fixer, enregistrer ou transmettre, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. La Cour de cassation en déduit qu’il faut considérer de manière conjointe le consentement à la fixation, l’enregistrement et la transmission de la photo.
Or, la lecture de l’article 226-1 rend possible la compréhension que ce sont trois actes séparés, pour chacun desquels le consentement de la personne est requis. Par ailleurs, cet article prévoit que le consentement de la personne prise en photo est présumé lorsque les actes « ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés ». En tout état de cause, au moment de la prise de la photo, la présomption du consentement de la personne prise en photo ne peut porter que sur la fixation et l’enregistrement de la photo, qui sont deux actes certains, tandis que la diffusion n’est qu’éventuelle et future. En d’autres termes, si le fait de se laisser prendre en photo dans un lieu privé et dans un cadre intime permet de déduire le consentement sur la fixation et l’enregistrement, il ne permet pas pour autant de présumer le consentement à la diffusion de la photo.
L’apparente erreur de la Cour de cassation pourrait être corrigée prochainement. En effet, l’Assemblée nationale a adopté en janvier le projet de loi pour une « République numérique », qui doit encore être voté par le Sénat en avril. L’un des amendements adopté par les députés propose de modifier ainsi l’article 226-1 du code pénal :
[…] 2° Il complété par un alinéa ainsi rédigé :
Est puni des mêmes peines le fait de transmettre ou diffuser, sans le consentement de celle-ci, l’image ou la voix d’une personne, quand l’enregistrement, l’image ou la vidéo sont sexuellement explicites.
Un tel texte apporterait une plus grande sécurité juridique aux victimes du « revenge porn », et permettrait de corriger l’erreur de l’arrêt de la Cour de cassation. En cas d’adoption de cette loi, le code pénal français referait une partie de son retard dans la lutte contre la cyberviolence sexuelle.
This content has been updated on March 17, 2016 at 15 h 12 min.