La lutte anti-terrorisme, le nouvel hydre Orwellien

 

Auteur: Raphael Pallanca, Étudiant au cours de DRT6929E 

Avis aux “cyberdjihadistes” et aux autres internautes: Big Bernard is watching you! 

À la suite des attentats perpétrés au Canada en octobre dernier, le gouvernement fédéral du Canada a récemment annoncé qu’il profitera des premiers mois de 2015 pour renforcer certaines lois. D’ailleurs un projet de loi, C-44, qui vise à donner plus de pouvoirs aux autorités sécuritaires canadiennes en matière de lutte au terrorisme, a récemment été proposé.

Après la tuerie perpétrée en France le 7 janvier dans les locaux du Journal Charlie Hebdo, le premier (cyber) flic de France a quant à lui annoncé la création de nouvelles mesures de contrôle d’internet lors de son intervention, ce mardi 20 janvier, au Forum international de la cybersécurité de Lille (FIC). Dès le lendemain le Premier Ministre Français, Manuel Valls, a annoncé une batterie de mesures censées renforcer la lutte contre le terrorisme pendant que l’un de ses proches députés présentait les grandes lignes de la future loi sur le renseignement français.

Si lutter contre le terrorisme est un combat louable, faisant l’unanimité, sommes-nous pour autant prêt à concéder une partie de notre vie privée dans la bataille ?

«A circonstances exceptionnelles, il faut une loi exceptionnelle » déclarait mercredi 14 janvier Manuel Valls, face aux députés. Or qu’est-ce qu’une loi exceptionnelle ? Est-ce un « Patriot Act » calqué sur le modèle des États-Unis au lendemain du « nine-eleven » ?

« Le Patriot Act c’est Guantanamo. Personne ne le souhaite » affirmait quelques jours plus tard le Premier Ministre du Gouvernement Français. Voilà qui se voulait rassurant pour les défenseurs des droits et libertés. Mais à y regarder de plus près, si la France n’a pas besoin d’un « Patriot Act » c’est surtout parce qu’elle dispose déjà d’une législation comparable voir en « avance » sur celle de leur homologue américain; arsenal législatif d’exception déjà très critiqué par les défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie. Ce dernier se compose notamment de la Loi de programmation militaire de 2013 et de la Loi contre le terrorisme de 2014. Selon les journalistes Sonya Faure et Wily Le Devin du journal français Libération, il serait « Difficile de faire plus que l’arsenal actuel. Sauf à considérer qu’il faille concurrencer la Chine en bloquant Gmail. »

À titre d’exemple, en France -contrairement aux États-Unis- avec la promulgation de la loi du 13 novembre 2014 (publiée au Journal officiel le 14 novembre 2014, le décret d’application étant toujours attendu), le blocage administratif d’un site internet sera possible sur décision du gouvernement par une simple injonction policière, sans que la justice ne soit consultée. De plus, les enquêteurs pourront perquisitionner les “clouds”. Ils auront également le droit d’intercepter les discussions sur les logiciels d’appels téléphoniques sur Internet.

Malgré l’existence des dispositifs susvisés, il semblerait que ce ne soit pas suffisant pour rassasier l’appétit des politiques français qui comptent bien se servir des évènements récents pour dévorer un peu plus les libertés des internautes. En effet Jean-Jacques Urvoas, Président de la commission des Lois de l’Assemblée, présentait postérieurement aux attentats du 7 janvier 2015 les grandes lignes de la future loi sur le renseignement français. Il annonça à cette occasion que le nouvel enjeu serait de focaliser l’attention des renseignements sur les nouveaux espaces d’échanges liés au web :

Nous voulons avoir accès aux ordinateurs, parce que les interceptions de sécurité sont en général assez stériles;

Nous voulons aller sur Skype par exemple ce que nous ne pouvons pas faire aujourd’hui juridiquement. Nous voulons avoir accès aux données informatiques de ceux qui fomentent des coups;

La future loi sur le renseignement doit également permettre l’infiltration des espaces de vie privée des suspects:

Nous avons besoin de sonoriser les lieux. Les terroristes aujourd’hui se parlent peu au téléphone, ils se voient dans des lieux privés. Nous ne pouvions pas pénétrer ces lieux parce qu’ils sont privés, et bien il y aura la possibilité de le faire.

Le député annonce également qu’il sera désormais possible de placer des mouchards sur les véhicules des terroristes présumés.

L’émotion plus forte que la raison

Toutes les mesures annoncées par le député Urvoas se justifieraient par l’imminence de la menace qui pèse toujours sur la France:

Où ceux qui ont commis les attentats contre Charlie Hebdo ont-ils pris leurs informations? Sur Internet. Ils ont fait leurs repérages sur Internet.

Brider l’internet et les internautes serait donc la solution miracle pour lutter contre le terrorisme. Si c’est l’avis des protagonistes susvisés, cette surenchère de la surveillance du Net ne fait pas l’unanimité et manque d’efficience. Avec le recul post 11 septembre, la guerre déclarée au Web paraît totalement anachronique et inefficace. Par définition, le Web est extensible à l’infini et les réseaux sociaux, bien plus furtifs que les codes juridiques. Ainsi, plutôt que les cyberterroristes, ce seront surtout les internautes « lambdas » qui seront touchés par les dispositions législatives et qui verront leurs libertés reculer.

« La protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale » rappelait la CEDH au visa de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme en date du 18 septembre 2014.

Répondre à la terreur par la restriction des libertés est-elle la (seule) solution? 

Certes, il incombe au gouvernement français d’assurer la protection des citoyens face aux menaces terroristes mais ce même gouvernement a aussi le devoir d’assurer la protection des droits et libertés de ces mêmes citoyens. Ainsi, la lutte antiterrorisme doit-elle forcement se faire au détriment des droits fondamentaux ? Au vu de l’histoire, il semblerait que l’ancien Garde des Sceaux français Robert Badinter avait raison quand il disait «ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis».

Au Canada, la question se pose également.

This content has been updated on January 25, 2015 at 20 h 42 min.