Les zones grises des drones récréatifs
Auteure: Elizabeth Bourgeois, étudiante au cours DRT-6929E-A
« The Drone Slayer » est le surnom autoproclamé de William Merideth, un citoyen du Kentucky au cœur d’une saga judiciaire américaine depuis 2015. En juillet 2015, Merideth et sa famille se trouvaient dans leur jardin quand un drone a survolé leur propriété. Inquiet pour la sécurité de sa famille et frustré par cette intrusion, Merideth a anéanti l’engin à coups de fusil. En réponse à la destruction du drone, son propriétaire, David Boggs, a entamé une poursuite criminelle contre Merideth pour compenser la perte de son engin. Outre les dommages matériels, cette affaire a soulevé des questions d’ordre général de délimitation spatiale et de recherche d’équilibre entre la technologie et les droits fondamentaux. La circulation d’un drone récréatif au-dessus d’une propriété privée constitue-t-elle une violation du droit de propriété et une entrave au droit à la vie privée ? Le 21 mars 2017 dernier, cette question épineuse a reçu un nouvel écho au sein de la justice américaine.
Refaisons la chronologie. D’abord, en 2015, la juge Rebecca Ward de la Kentucky District Court a légitimé la destruction du drone et tranchée en faveur de Merideth. Étant d’avis que le drone circulait à la cime des arbres d’un terrain privé, la juge a conclu à une violation du droit à la vie privée. En 2016, Boggs s’est de nouveau adressé à la justice américaine pour obtenir un jugement déclaratoire clarifiant la relation entre les drones récréatifs et les droits fondamentaux en jeu. Selon les prétentions de Boggs, son drone circulait à plus de 200 pieds du sol. Conséquemment, cela plaçait l’engin sous la compétence exclusive de la Federal Aviation Administration (FAA) (49 U.S. Code § 40103) et empêchait Merideth d’avoir un droit de propriété et une expectative de vie privée à l’égard d’une matière relevant de la souveraineté fédérale. Le 21 mars 2017 dernier, la Cour a de nouveau tranché en faveur de Merideth et a rejeté l’affaire pour un défaut de compétence. Depuis, l’avocat de Boggs n’écarte pas la possibilité d’en appeler de la décision. Selon lui, cette affaire est d’intérêt général et elle soulève des questions de fond qu’il serait nécessaire de clarifier considérant la popularité grandissante des drones.
Ainsi, alors que les drones récréatifs gagnent en popularité, les enjeux en matière de vie privée augmentent au même rythme. Munis d’une caméra, ces drones sont accessibles au grand public et permettent une surveillance caméra en temps réel. Cela soulève plusieurs questions éthiques et légales.
D’ailleurs, M. Merideth en invoque lui-même quelques-unes: le propriétaire du drone regardait-il ses filles? Cherchait-il quelque chose à voler dans la maison ? Pour M. Merideth, une chose est certaine : le fait de survoler une propriété privée pendant plus de quelques secondes constitue une entrave au droit à la privée. Ceci étant dit, malgré le dénouement favorable au camp Merideth, des questions de fond subsistent. Comment réconcilier les drones récréatifs, le droit de propriété et le droit à la vie privée ? À cette question, le Canada et les États-Unis donnent des réponses différentes.
Le cadre juridique américain
Aux États-Unis, les paramètres législatifs en la matière sont assez laconiques. La seule cause traitant des délimitations aériennes sous l’angle du droit de propriété est United States v. Causby datant de 1946. Dans cette affaire, la Cour suprême a reconnu un droit de propriété à un fermier allant jusqu’à 83 pieds dans les airs. À défaut d’une réponse de la jurisprudence à la question des drones, il faut s’en remettre au cadre législatif développé par la FAA. À cet effet, cette agence a mis en place une série de règles en matière d’utilisation des drones dont le contenu varie en fonction de l’objet de l’utilisation. En matière de drones récréatifs, les lignes directrices visent surtout l’interdiction de circuler dans le périmètre des aéroports. Conséquemment, la vie privée des citoyens est plutôt passée sous silence. Au plus, on y prévoit l’interdiction de faire voler un drone au-dessus d’un groupe de gens, une règle dont l’imprécision empêche la protection adéquate du droit à la vie privée des particuliers. De même, on précise que le drone doit rester à la vue du conducteur, une obligation peu contraignante qui ne l’empêche pas pour autant de faire voler son drone au-dessus des propriétés avoisinantes en gardant un œil lointain sur celui-ci.
Le cadre juridique canadien
En droit canadien, les règles régissant les drones récréatifs sont plus étoffées. En effet, Transports Canada prévoit des garanties en matière de droit à la vie privée, dont certaines ont été annoncées en mars 2017. D’abord, en plus de devoir voler le jour et demeurer dans un rayon de 500 mètres du conducteur, le drone ne peut s’approcher à moins de 75 mètres de véhicules, de bâtiments, de foules ou de personnes. De même, on invite les citoyens à respecter la vie privée et à éviter de survoler les propriétés privées et de prendre des photos ou des vidéos sans autorisation. S’il contrevient à ces règles, le conducteur s’expose à sanctions criminelles et à des amendes pouvant atteindre 3 000$.
En somme, on constate qu’il existe une tension entre les technologies et le droit. En effet, les innovations sophistiquées comme les drones obligent un exercice d’équilibre entre ces inventions et les droits fondamentaux comme la vie privée. Alors que les États-Unis optent pour des règles assez brèves et minimales, le cadre juridique canadien est plus prévoyant. Or, malgré la mise en place de ces règles, les deux pays demeurent assez néophytes en la matière. À l’inverse, au Japon, les drones récréatifs sont chose courante. En effet, le pays combat désormais les drones nuisibles qui menacent la sécurité publique à l’aide d’une équipe de drones dirigée par la police de Tokyo. À la lumière de la réalité japonaise, il semble que l’Amérique du Nord n’a touché que la pointe de l’iceberg…
This content has been updated on April 3, 2017 at 9 h 49 min.