La Cour Suprême du Canada se prononcera sur la validité des clauses d’élection de for de Facebook
Auteur: Guerlain Casimir, Étudiant au cours de DRT6929E
Le 10 mars 2016, la Cour Suprême du Canada a annoncé qu’elle entendra l’appel d’une décision de la Cour d’Appel de la Colombie-Britannique dans une procédure intentée contre Facebook Inc. (Facebook), par madame Deborah Douez. En effet, la Cour d’Appel de la Colombie-Britannique a décidé à l’unanimité, que la clause d’élection de for, indiquant que toute action contre Facebook devra être intentée en Californie, doit être respectée, infirmant ainsi la décision de la Cour Suprême de Colombie-Britannique qui était portée en appel devant elle. Madame Douez, une résidente de la Colombie-Britannique, a intenté ce recours contre Facebook à l’égard d’une pratique publicitaire nommée sponsored stories, expression traduite en français par « récits commandités ». Lorsqu’un utilisateur appuie sur le bouton « like » d’une entreprise qui a acheté de Facebook le format de récits commandités, une publicité peut être générée sur le « fil d’actualités » des membres du réseau de celui-ci, et ce, à son insu. Madame Douez se décrit comme l’une des nombreuses victimes de l’utilisation de ses nom et image dans de telles publicités. Il est important de noter que cette pratique controversée n’est plus utilisée par Facebook depuis le 9 avril 2014. Un recours collectif en Californie concernant ces mêmes récits commandités, qui s’est conclu par le paiement de 20 millions de dollars lors d’un règlement hors-cour en 2013, pourrait avoir influencé cette décision du géant américain des médias sociaux.
La Cour Suprême du Canada ne devrait pas, en principe, se prononcer sur le fonds du recours. Elle se prononcerait plutôt sur la possibilité que ce recours puisse être entendu au Canada, contrairement aux conditions d’utilisations de Facebook, qui lient contractuellement tous ses utilisateurs. Si cette possibilité est reconnue, le tribunal qui recevra ce dossier pour jugement au fonds, devra également déterminer si ce recours peut procéder par action collective (anciennement nommée recours collectif).
Le dénouement de cette affaire aura une très grande importance sur les droits au respect de la vie privée et à l’image au Canada, car si la Cour Suprême du Canada conclut que cette clause d’élection de for est valide, les compagnies comme Facebook pourraient éviter d’être assujetties à l’application de certains articles de lois de la juridiction de l’utilisateur dont le but est la protection du public. En effet, dans le cas qui nous concerne, Facebook aurait, selon la requête de Deborah Douez, contrevenu à l’article 3 paragraphe 2 de la Privacy Act de la Colombie-Britannique, loi provinciale sur la protection des renseignements personnels. Cet article indique que quiconque utilise le nom ou l’image d’une personne, sans son consentement, à des fins publicitaires, commet un délit qui permet l’ouverture d’un recours civil, sans qu’une preuve de dommage subi soit nécessaire. Cet article manifeste l’importance accordée, en droit canadien, aux lois protégeant le public, puisqu’il en facilite l’utilisation en n’obligent pas la victime à faire la preuve d’un dommage.
L’article 4 du Privacy Act de la Colombie-Britannique, indique que tous les recours fondés sur cette loi doivent être entendus et jugés par la Cour Suprême (de Colombie-Britannique). La juge Susan Griffin de la Cour Suprême de la Colombie-Britannique, y fait directement référence dans sa décision de première instance :
I find that an analysis of s. 4 of the Privacy Act together with the CJPTA (Court jurisdiction and proceedings transfer act) and the common law makes it clear that the statutory conferral of jurisdiction on this Court for Privacy Act claims prevails over any Forum Selection Clause in the Facebook Terms of Use and over any other considerations in s. 11 of the CJPTA.
Dans une entrevue pour le magazine Business in Vancouver, Me Christopher Rhone, l’avocat de Deborah Douez, indique croire que la Cour Suprême a accepté d’entendre cette cause puisqu’elle a des « ramifications bien au-delà du conflit avec Facebook ». Il y va de façon plus précise dans cette entrevue en déclarant:
The SCC (Cour Suprême du Canada)doesn’t give reasons why they’re hearing cases but my suspicion is that they are concerned about this particular issue of whether these online terms can be used to trump statutory protection [from provincial legislatures.]
Il est intéressant de se rappeler qu’il y a quelques années, au Québec, dans l’affaire St-Arnaud c. Facebook, la Cour Supérieure dans une demande de recours collectif avait donné raison à la société américaine à l’effet que les tribunaux québécois n’ont pas juridiction sur le litige. En effet, la Cour avait pris la position que compte tenu du fait que les utilisateurs de Facebook ne payaient pas pour le service de Facebook, il ne s’agissait pas d’un contrat de consommateur, et donc que la cour n’avait pas jurisdiction, les utilisateurs de Facebook ayant accepté, en se joignant au site, de soumettre tous les éventuels recours aux tribunaux californiens du district de Santa Clara.
La Cour Suprême du Canada a entre ses mains une occasion réelle de solidifier la souveraineté de ses lois sur son territoire, en particulier celles qui ont pour objet de protéger le public. La conclusion de ce recours aura certainement une très forte influence sur la validité de ces nombreuses clauses d’élection de for qui se trouvent dans les conditions d’utilisations d’une myriade de sites internet.
This content has been updated on March 15, 2016 at 8 h 25 min.