Renseignements sur Internet : un Patriot Act à la française ?
Auteure: Sixtine Balot, Étudiante au cours de DRT6929E
aux attentats survenus le 7 janvier 2015 à Paris, la France a pour ambition de faire passer une nouvelle loi permettant de renforcer la surveillance sur internet des personnes suspectées de terrorisme. Le projet de loi a été présenté ce jeudi 19 mars 2015 mais le projet définitif n’a pas encore été présenté publiquement. Il n’y a en effet pas de cadre légal en France à l’heure actuelle, contrairement à ses voisins outre-Atlantique américain (Patriot Act) et canadien (Loi Anti-Terroriste). L’Angleterre dispose également d’un service de renseignements (GCHQ).
Selon Matthieu Suc, journaliste au journal Le Monde, les services de renseignement « auront la possibilité de sonoriser des véhicules, des appartements ou bureaux, (…) de mettre des caméras espion dans les même lieux et de poser des balises GPS qui permettent de suivre les véhicules des personnes suspectées, ensuite et enfin surtout cela va permettre aux agents d’espionner le contenu des ordinateurs et le contenu des messageries sur les réseaux sociaux des gens suspectés d’actes de terrorisme ou autre ». La loi permettra principalement d’espionner non pas le fond des messages, mais les « méta données », à savoir les informations relatives au message en lui-même (l’expéditeur, le destinataire, la taille du fichier envoyé, etc.). Il en va de même pour les ordinateurs avec les adresses IP consultées. En effet, les membres d’organisations terroristes semblent avoir un comportement-type, qui pourrait être détecté par une « boite noire » dont disposeraient les FAI (Fournisseurs d’Accès à Internet) et les hébergeurs. L’anonymat de ces données ne serait levé qu’en cas de doutes sérieux d’une menace terroriste. Le gouvernement français affirme donc que la vie privée ne sera pas menacée.
La CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) n’est pas de cet avis et estime que des dispositifs permettant de protéger davantage la vie privée sont nécessaires et que l’anonymat est relatif puisqu’il peut être levé sous autorisation du premier ministre en cas de doute sérieux. En cas de situation d’urgence, les mesures seraient prises directement.
« des mesures de surveillance beaucoup plus larges et intrusives ».
« conséquences particulièrement graves sur la protection de la vie privée et des données personnelles ».
Certaines professions telles que les médecins et les avocats ne sont pas protégés par le texte. Le secret professionnel risque donc d’être mis à mal par le projet de loi. Par ailleurs, la récolte de données sensibles, auxquelles les citoyens français n’ont qu’un droit d’accès indirect, risquerait d’être utilisée dans le cadre d’autres enquêtes n’ayant aucun lien avec la menace terroriste (financières par exemple).
La conservation des données récoltées est prévue pour un délai de 5 ans. Il y a dès lors un certain malaise qui persiste lorsque l’on compare cette automatisation de la avec les méthodes utilisées par la NSA et son programme PRISM.
Le projet de loi prévoit que les personnes en contact avec des terroristes connus seront-elles aussi surveillées de près. Or, dans une société où chaque individu est connecté à une multitude d’internautes, de serveurs, voire même d’objets, il est aisé d’établir des liens virtuels entre ces terroristes ces autres individus sans pour autant que ces personnes aient un lien quelconque avec les cellules djihadistes. Ne risque-t-on pas de basculer dans un environnement de suspicion généralisée, au détriment de la présomption d’innocence, protégée par l’article 6.2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ?
Une nouvelle commission ad hoc prévue par le projet de loi, la Commission Nationale de Contrôle des Techniques de Renseignement (CNCTR) vient adoucir les propos sévères de la CNIL. Cette Commission indépendante serait composée d’experts, de députés et de hauts magistrats. La CNIL souhaiterait néanmoins pouvoir contrôler la récolte de ces renseignements personnels.
L’absence de cadre légal concernant la récolte de ce type de renseignements avait déjà valu à la France d’être condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2005 dans l’arrêt Vetter c. France « pour avoir procédé, en 1997, à la sonorisation d’un appartement sans base juridique suffisamment précise ». Tout compte fait, la France ne fait que rendre légal ce qu’elle faisait déjà auparavant, sans devoir passer par des autorisations judiciaires.
Un malaise persiste : La France ne risque-t-elle pas à son tour de tomber dans les dérives et les scandales que connait actuellement la NSA américaine (cfr. Affaire Snowden) ? La France est à l’heure actuelle encore meurtrie suite aux attentats qui se sont déroulés au sein du journal Charlie Hebdo à Paris le 7 janvier dernier. Il faudrait réfléchir aux mesures à adopter avec du recul et avec prudence en envisageant l’impact que celles-ci pourraient avoir à l’avenir sur la vie privée des individus. Le Patriot Act avait lui aussi été adopté en réaction des attentats du 11 septembre 2001. Les conséquences sont celles que l’on connait aujourd’hui et n’avaient sans doute pas été anticipées de la sorte.
This content has been updated on March 21, 2015 at 11 h 42 min.