Offensive du Commissaire de la vie privée du Canada contre le projet de loi C-51  

Auteur: Hugo Fournier-Gendron, Étudiant au cours de DRT6929E

Le 6 mars dernier, M. Daniel Therrien, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, écrivait dans une lettre ouverte au Devoir que le projet de loi C-51, lequel prévoit notamment des mesures pour permettre un plus grand échange d’informations entre les institutions fédérales afin de contrer la menace du terrorisme, ne « répond pas aux souhaits et aux attentes des Canadiens » et aurait une portée « clairement excessive. »

À la suite notamment des évènements tragiques d’octobre 2014, le projet de loi C-51 (aussi connu sous le nom de Loi antiterroriste de 2015) a été déposé par le député conservateur de Steven Blaney le 30 janvier 2015. Celui-ci propose de modifier de nombreux textes législatifs, en plus d’édicter une nouvelle Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada (LCISC). Assez laconique, cette nouvelle loi aurait pour objet «  d’encourager les institutions fédérales à communiquer entre elles de l’information et de faciliter une telle communication, afin de protéger le Canada contre des activités portant atteinte à la sécurité du Canada. » (Art. 3 LCISC)

Or, dans sa forme actuelle, la LCISC permettrait à pas moins de 17 organismes fédéraux de collecter, d’analyser, et de conserver de manière permanente les renseignements personnels de n’importe quel canadien, pour autant que cela « est jugé ‘pertinent’ pour assurer la détection de nouvelles menaces de sécurité ». Il s’agit d’une norme que le Commissaire juge trop « permissive », et qui donnerait auxdits organismes des pouvoirs « pratiquement illimités en matière de contrôle et de profilage. »

La lettre au Devoir fait suite à la publication d’un mémoire par M. Therrien à l’attention du Président du Comité parlementaire permanent de la sécurité publique et nationale, dans lequel 5 recommandation sont faites afin de modifier C-51. En somme :

  1. Le critère de la pertinence dont fait état actuellement la LCISC devrait être remplacé par un critère de nécessité afin de justifier le partage de renseignements personnels.
  2. La notion de menace à la sécurité du Canada devrait être plus clairement définie.
  3. Il faudrait imposer des obligations de suppression des renseignements personnels plus strictes afin qu’ils ne soient pas conservés indéfiniment et sans justification.
  4. Les demandes de communication entre organismes devraient être faites obligatoirement par écrit.
  5. Tous organismes visés par la LCISC devraient être soumis à une surveillance indépendante.

Rappelons que M. Therrien a été nommé Commissaire à la protection de la vie privée au Canada en vertu de la Loi sur protection des renseignements personnels (LPRP), laquelle impose des obligations aux ministères et organismes fédéraux en matière de protection des renseignements personnels. En chef lieu de ces obligations, les organismes fédéraux ne peuvent recueillir des renseignements personnels que si c’est en lien direct avec leurs activités (art 4 LPRP), lesquels renseignements doivent provenir en général directement de la personne concernée (art 5 (1) LPRP). Par ailleurs, la LPRP met déjà en place un régime pour la communication des renseignements personnels entre organismes fédéraux. C-51 viendrait court-circuiter ce mécanisme et bon nombre d’autres mesures prévues par la LPRP.

De nombreuses personnalités publiques ont fait état de leurs inquiétudes relativement à C-51, dont notamment MM. Paul Martin, Jean Chrétien, John Turner et Joe Clark. L’ex-Commissaire Mme Chantal Bernier a fait écho aux préoccupations de M. Therrien et a mit en garde les parlementaires contre une adoption précipitée de C-51, en plus de craindre que ne se reproduisent des cas comme celui de Maher Arar. Le gouvernement fédéral semble quant à lui rester résolu à faire adopter le projet de loi C-51. Selon M. Harper, « les Canadiens sont visés par ces terroristes pour aucune autre raison que nous sommes Canadiens. » Concurremment à la levée de boucliers au projet de loi, la GRC dévoilait le 6 mars une vidéo enregistrée par le tueur Zehaf-Bibeau, lequel a participé aux atrocités menant au dépôt de C-51.

This content has been updated on March 6, 2015 at 19 h 53 min.